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nadine Boisseau

revue Lattitudes(cahiers lusophones) texte:d'ANIBAL FRIAS

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NADINE BOISSEAU : la sensation des choses mêmes

Des dessins du titien,un portrait de picasso,un autre de w. dekooning,la silhouette de Pessoa, les nymphéas de Monet,des peintures du Carravage,des fresques romanes,un dessin de Matisse.... nous sommes dans le petit monde de Nadine Boisseau.où je promène mon regard sur un pan de mur de son atelier .A la fin des années 1970,à l' époque de ses études aux Beaux arts à Paris,Nadine Boisseau a deux grands coups de foudre:Maria Viera
Silva et W.dekooning spécialement "women".Parallèlementà son atelier d' artiste situé rue saint maur à bellevile, elle enseigne depuis dix ans dans une école d' art.
Ce qui étonne dans ses tableaux,c' est la façon dont la composition des éléments picturaux , personnages,paysages,lieux,corps,mouvements,s' empare de la couleur pour créer une atmosphère de sentiments ou de voyage d' autant plus expressive qu 'elle semble paradoxalement tenir isolés les êtres et les choses.Cest que les formes peintes acquièrent une densité et une intensité sensible dans la masse chromatique même.
LISBOA
c' est en dehors de son atelier,dans des parcs ou dans l' éloignement du voyage, que Nadine Boisseau réfléchit sur son travail.Elle procède par ce qu 'elle nomme ses notes, à l' aide d' un cahier de poche,constituant au fil des croquis,son petit dictionnaire de formes.Sa découverte au début des années 1980,s' avère décisive dans sa démarche picturale. Aussi s' rend-elle cinq années de suite.Cest un lieu qui est à ses yeux enveloppé de multiples lieux cosmopolites,nourri de contrastes architecturaux et de labyrinthiques ruelles.Lisbonne est la ville des rencontres et des aléas provoqués par la tessiture urbaine poussant à la flânerie. Le quotidien des habitants,les cris des marchés,les couleurs azurées de l' air et de l' eau sont autant d' impressions où se mélangent les palettes chromatique,sonore et cinétique. Ces tonalités sont merveilleusement rendues par Pessoa dans le livre de l'intranquilité,le guide personnel de notre peintre.Jaiété attirée par le mouvement de la vie,le quotidien,le marché par les baigneurs de Cascais et les grandes plages de l'Algarve.Ces personnages et ces paysages peuplent les tableaux de Nadine.Abordés souvent par séries,ils forment des esquisses tangibles d' une réalité à plusieurs visages,évanescente et fuyante:corps solitaires dont la blancheur diaphane annule leur pesanteur,va-et-vient de la mer sur le sable limoneux,ligne d' horizon portée à l' infini,frontières mouvantes et itinéraires possibles.Un monde aérien que l' on dirait soluble dans le tracé coloré du peintre,faisant sourdre un réel au figuré.Ce que fait alors le geste créateur s' inscrit par- delà la figuration et l' abstraction pour faire advenir à la surface de la toile une présence du/au monde.Je suis,j' aimeraisêtre dans une tradition picturale de représentation,mais portée par une question:"comment aborder à notre époque la figuration?" La voix exigeante empruntée par Nadine Boisseau conduit sa démarche vers un art subtil,aux formes épurées et aux tonalités sensuelles,ou s' équilibrent les parts classique et contemporaine.
UN REALISME ABSTRAIT
avant d' entreprendre de grands formats,je fais beaucoup d' études:des observations d' après nature .Saisir l' immédiateté de situations pour le plaisir de façon spontanée sans intention de les utiliser ou de les penser en tant qu'œuvre.Pour la série sur les squares par exemple je vais aller au jardin du Luxembourg où je vais annoter: ensuite j' attaque des petites compositions,des séries de dessins:10,20,30,40.Les grands formats viennent après.
En optant pour une figuration paradoxale,où la matière originale se trouve comme diluée dans l' élément pictural,Nadine intensifie l' épaisseur des choses, la tactilité des chairs,le plis et déplis des mouvements.Avec elle,le monde n'est pas donné,mais "naïvement" rendu visible dans sa vérité sensitive.Cela à la faveur d' un patient dévoilement opéré grâce à une flamboyante palette de couleurs pelliculaires,et au prisme d' un regard pour ainsi dire païen,à rebours des mirages perçus par nos snes usés.
la peinture de Nadine se livre sans doute davantage à ceux qui ont su préserver les yeux ennuagés de leur enfance. Elle encourage un décalage de notre vision, tout en maintenant le jeu qui nous retient dans un entre-deux, au point exact où nos anamorphoses deviennent ce qu' elles ne sont pas,sans cesser pourtant de paraître ce qu' elles sont .A partir d' une description phénoménologique,c' est donc la vie chatoyante dans ses multitudes facettes qui se montre à fleur de peau,en quelque sorte. C' est une peinture qui semble procéder du bout des doigts, tactile, légère, caressante. Entre les compositions finales, où la peinture et le dessin sont totalement en osmose,et les premières annotations in situ, sinon réelles, du moins réalistes par effet du réel, intervient le regard singulier du peintre - grâce à la conscience aiguë qu' entre lui et le monde il existe un interstice poreux où se glissent l' imagination, le rêve, l' émotion, la déraison, voire le dégoût.Ce voile de brume qui, tout à la fois, sépare et fait se conjoindre le sujet et le monde- et la conscience qu' il a de cet écart- permet l' acte créatif et fait de l' artiste un medium privilégié pour restituer des choses, leur vibration chromatique immanente:la forme de la forme, la lumière de la lumière, le son du son.Il n' est pas nécessaire d' insister sur la convergence des démarches entre la peinture de Nadine Boisseau et la poésie de Fernando Pessoa.
QUELLE EST LA LIMITE ENTRE L'ABSTRACTION ET LA FIGURATION ? Question de peintre émise moins pour trouver une réponse définitive à un problème que pour problématiser les frontières oscillantes du représentable et de la représentation et, du même coup, en explorer toutes les modalités artistiques.Le peintre opère par un travail d' abstraction qui conduit, dans un premier temps de son parcours, à vouloir figurer un corps impersonnel qui représente la vie et le mouvement;depuis l' année 2000, par une autre combinaison possible des éléments "corps" et "sentiments" ,il essaye de faire exprimer au corps des affectes, tels que la solitude ou la gaité.Si bien que, dans les derniers tableaux, le corps n' est plus dans le mouvement,car je ne le perçois plus de la même façon.La perception dont parle Nadine ne provient pas d' une réflexion abstraite, mais s' origine dans une démarche artistique qui s' effectue au ras d' uneélaboration plastique qu 'elle dit elle-même besogneuse, allant jusqu'a approfondir un sujet durant 5 ou 6 ans.
Le choix des thèmes "eau" "cirques" "plage" "Ovide" "square" "herbier" est un prétexte qui aide à faire des propositions picturales.Par exemple , la série des corps des baigneurs de Cascais(et d' ailleurs) explore l' idée sous jacente de la "couleur/non couleur".La plage est choisie juste pour aborder la scénographie des tableaux.Les herbiers sont portés par une interrogation proprement plastique:comment me représenter la nature morte au XXe siècle? Ces questionnements classiques débouchent sur une "touche" personnelle.
HASARD ET DEVENIR DES FORMES
Le thème du hasard surgit très tôt chez Nadine Boisseau.Dès ses études aux beaux arts de Paris, elle l' aborde dans son sujet de Maîtrise en peintre, plutôt qu'en historienne de l'art.Elle le travaille-au sens fort et figuré du terme.Cest pourquoi le hasard est surtout manipulé comme technique picturale contrôlée .Cette dimension lui permet d' avoir de l' inattendu dans son œuvre se faisant .Selon Giacometti au moment où il réalise une sculpture dans son atelier, ses mains ne savent pas où elles vont ni vraiment ce quelles font.Chez Nadine , le hasard est envisagé comme une matière à travailler, en somme un façonnage d' une figure picturale ou d' une sculpture(qu 'elle aborde parfois):je ne maîtrise pas complètement l' acte gestuel.Par exemple déchirer un papier, le coller,comment peut-on connaîtreà l' avance le résultat? Cette démarche hasardeuse m' ouvre des perspectives.çà me permet de me donner des souffles, des souffles nouveaux....
La tension et l' intention, si elles sont liées dans la démarche artistique,relèvent d' une force imaginaire(selon le mot de Bachelard)où l' aléa joue pleinement son rôle créateur.Dans la technique du calque , que l' artiste emploie dans la série des herbiers,le résultat n' est jamais prévisible: en superposant les calques, je découvre des possibilités insoupçonnées .Métaphore de la représentation, le calque échappe ici au décalque du réel car il sert l' imagination créatrice.Cest cette même volonté de fuir la facilité, doublée d' une expérimentation de nouvelles formes plastiques, qui l' amène au collage.Une technique qu 'elle emprunte à son professeur Jean Bertholle dont l' exposition de 1979 "papiers découpés collés",fut pour elle une révélation: je fais du collage pour me détromper de formes standards, précise -t-elle joliment.
Le hasard intervient encore, d' une certaine façon, dans le choix des thèmes et des couleurs.Le moment créatif ou l' intuition puise dans la profondeur du sujet,ou s' interpellent inconscient, expérience, et imagination:lorsque que je choisis un thème, j' ai l' impression qu' il m'a aussi choisi car il correspond à une idée de réalisation: par exemple le travail sur le mouvement s' est concrétisé dans les séries "piscine","corps dans l' eau" ou "cirque".Le hasard relève en outre d' une recherche picturale en devenir, faite de questionnements, d' influences (plus ou moins obscures),d' essais, d' esquisses, d' explorations, de doutes aussi.
A partir de la série des herbiers, le tableau s' éclate, selon son expression, et le "hors-cadre" devient support de oeuvre en participant à l' acte créatif .A la façon des étranges figures tachetées de FRA-ANGELICO,situées sous ses fresques peintes, et que Georges Didi-Huberman a dû réintroduire dans l' espace de ses "tableaux",car elles intègrent pleinement l'œuvre originelle.Chez Nadine, le support peut être l' environnement matériel ou naturel lui-même, lors de la prise de notes picturales in situ. Le peintre se sert du lieu pour ses esquisses. Ensuite , sur le tableau, un fond pictural, généralement blanc,intervient comme support de figures pour disparaître dans la réalisation finale.
Enfin, le tableau peut être inséré sur le mur, et le peintre se met à travailler autour de cette surface verticale. Dans ce cas, il s' agit beaucoup plus que d' un support extérieur à la toile: il est possible de jouer avec les différence de profondeur. Le mur devient une scène de théâtreau milieu de laquelle le mur, le tableau, le peintre(et le futur spectateur?) constitue une scénographieou, dans le registre pictural, une composition.

 


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texte de Jean-Luc Chalumeau (critique d'art)

Comme tout peintre lucide aujourd'hui, qui doit intégrer les dépasser aussi bien dada et le surréalisme, par exemple,que l'Action Painting ,Nadine Boisseau entend n'être tributaire dans son oeuvre, ni d'un bavardage illustratif,ni d'un automatisme plus ou moins contrôlé L'expérience syncrétique qu'elle conduit depuis plusieurs années affirme la réalité signifiante du geste pictural et la nécessité de son enracinement culturel. On pourrait dire, à propos de sa série consacrée au "métamorphoses d'Ovide", qu'elle développe sa manière une méditation comparable à celle de Cy Twombly cherchant comment prendre en charge charnellement des choix culturels. Depuis les années 50, le peintre américain c'est symptomatiquement installé à Rome a lié l'évolution de son travail a l'histoire de notre culture, depuis l'Odyssée jusqu'à Dante, Keats et Mallarmé. Twombly, naturellement est passée de manière privilégiée par Ovide, a qui Nadine boisseau demande précisément d'inspirer son propre langage plastique. On ne trouvera cependant nulle trace d'écriture ou de graffiti dans les tableaux de Nadine boisseau : plutôt des corps mélés. Ceux de Pallas et Arachné, ou bien d'Ariane et Narcisse, Jupiter et quelques autres( mais peu importe leurs noms ) dont tout l'intérêt, pour l'artiste ,est de lui faire parcourir une ligne expressive de sensations. Ce n'est pas l'intellect de Nadine Boisseau qui "lit" ici Ovide mais bien son corps qui, pour elle, devient mode d'être et de voir. Et c'est ainsi que s'établit picturalement une relation de la culture au corps, dont on sait depuis Matisse et peut être bien, avant lui, Leonard, qu'elle est source de beauté . Parfaitement à l'aise dans la solution équilibrée entre abstraction et figuration qui la caractérise, pratiquant avec une délectation visible des techniques mixtes (voir les collages de papier de soie qu'elle intègre avec bonheur dans certaines toiles pour faciliter la transition entre les formes) et mêlant indistinctement le dessin et la peinture, Nadine boisseau est fidèle à l'esprit D'ovide. Mais comment ne pas constater, dans le risque ludique de sa création, que Nadine boisseau est aussi et d'abord notre contemporaine .

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